Tom Mulcair : Pourquoi Carney pourrait remplacer Trudeau
L’ancien gouverneur de la Banque du Canada (et de la Banque d’Angleterre), Mark Carney, était à la période des questions de CTV dimanche et Vassy Kapelos était au sommet de son art.
Lorsque Carney a contourné sa question directe de savoir si Justin Trudeau devrait diriger les libéraux contre le chef conservateur Pierre Poilievre lors des prochaines élections, elle l’a posée à nouveau.
Certes, le patinage artistique ne vient pas facilement à Carney qui est, après tout, un ancien gardien de but. Pourtant, sa deuxième non-réponse à la question répétée de Vassy était, en effet, la réponse. Carney refuse de dire si Trudeau est la meilleure personne pour avoir ce combat renversant et prolongé avec le prince bleu foncé, Poilievre.
Dans une vie antérieure, j’ai été ministre dans un cabinet libéral à Québec. Étant donné mon rôle actuel beaucoup plus agréable en tant qu’analyste et commentateur, de nombreux anciens collègues qui gravitent autour du Parti du gouvernement naturel aiment partager des commérages et des histoires d’initiés.
Un thème récurrent des libéraux fédéraux de toujours est que Trudeau se fait dire, sur le ton le plus déférent, que compte tenu de ses réalisations en matière de garderie, de soins dentaires et de soins de santé, il devrait considérer ce troisième mandat comme son «mandat hérité».
En d’autres termes, il est peut-être temps qu’il commence à se demander à quels conseils d’administration bien rémunérés il aimerait être nommé, lorsqu’il démissionnera.
Carney a un avantage sur tout autre candidat potentiel pour éventuellement remplacer Trudeau. Son rôle clé au sein de l’une des plus grandes sociétés d’investissement au monde lui confère une compréhension exceptionnelle de la transition nécessaire pour éloigner la planète de la calamité qu’est le changement climatique. Il l’a compris et a l’oreille des acteurs les plus importants du monde des affaires sur les questions de développement durable.
Trudeau, bien sûr, a prouvé à maintes reprises qu’il est son propre homme. Il ne sera pas bousculé. En effet, s’il y a une chose que j’ai apprise sur lui, c’est qu’il a tendance à faire tapis quand il voit que tout le monde est arrivé à une conclusion différente de la sienne. S’il décide de rester, personne ne le fera bouger.
En même temps, même s’il voit la bataille contre Poilievre comme irrésistible, il commence à montrer des signes qu’il a eu le biscuit. À la période des questions, Poilievre a dominé. Des problèmes comme l’ingérence électorale chinoise et le scandale connexe de la Fondation Trudeau ne disparaîtront pas.
Trudeau a un bilan mouvementé en matière de gestion du gouvernement, qui est censé être une grande partie du travail d’un premier ministre. Tout en méritant les meilleures notes pour la gestion de la pandémie, Trudeau a par ailleurs fait preuve d’un mépris presque total pour l’administration publique.
Les libéraux peuvent dire tout ce qu’ils veulent au sujet d’une augmentation des programmes gouvernementaux, il n’y a absolument aucun moyen de justifier ou de rationaliser une augmentation de 31 % de la taille de la bureaucratie fédérale au cours des sept premières années du règne de Trudeau.
C’est là que quelqu’un comme Carney entre en jeu. Il a la profondeur de l’expérience en gestion qui manque si cruellement à Trudeau et à son entourage. Bill Morneau avait raison dans son évaluation fulgurante : le cabinet du premier ministre et le Conseil privé s’occupent davantage de gérer l’image de Trudeau que de gérer le gouvernement d’un pays du G7.
Il y a de bonnes raisons de croire que Trudeau envisage cet automne comme une fenêtre potentielle pour déclencher des élections. Il serait toujours en mesure de le tenir sous la carte électorale actuelle. Le nouveau ajoute un certain nombre de sièges qui seront forcément conservateurs.
Si Trudeau fait son appel juste avant le retour du Parlement en septembre, il pourra faire campagne tout l’été aux frais du gouvernement et, de juin jusqu’au jour des élections, il n’y aura pas une seule période de questions où Poilievre pourra briller. Les ministres seraient libres de voyager et de faire des annonces pendant des mois sans que rien ne soit comptabilisé comme une dépense électorale.
Comme nous l’avons tous appris en regardant le naufrage du train de la Fondation Trudeau, les libéraux sont des experts pour naviguer dans les zones grises du financement politique. Prenez 125 millions de dollars d’argent public et utilisez les anciens libéraux pour les distribuer aux futurs leaders méritants (et reconnaissants) au sommet de leur classe.
C’est similaire à Canada 2020, pas une dépense politique, juste utile pour l’équipe rouge.
Bien sûr, il y a une abondance de prétendants possibles dans le cabinet actuel, dont l’exceptionnelle Chrystia Freeland. Le ministre François-Philippe Champagne a beaucoup de talent et d’ambitions à la hauteur, mais il se heurterait à une longue tradition libérale d’alternance entre dirigeants anglophones et francophones.
Rappelons que des cinq partis politiques représentés à la Chambre des communes, le seul à n’avoir jamais eu de femme à la tête est le Parti libéral. C’est quelque chose que beaucoup de membres du parti chercheraient à changer si et quand Trudeau décidait de se retirer. Cela, à son tour, en fait une colline plus difficile à gravir pour Champagne et Carney.
Ce désir d’avoir enfin une femme dirigeante pourrait inciter une autre politicienne exceptionnellement qualifiée, la ministre de la Défense Anita Anand, à atteindre l’anneau en laiton.
En attendant, le prochain congrès libéral sera tout sauf l’habituel festival de répétition. Attendez-vous à ce que Trudeau livre un brûleur de grange où chaque mot a été pesé en sachant parfaitement que chaque phrase sera analysée.
Carney dit qu’il va là-bas pour écouter. Je parie qu’il va entendre beaucoup de choses positives. J’ai eu la chance de l’inviter à prononcer un discours liminaire et à s’adresser à une petite classe de diplômés de l’Université de Montréal sur les enjeux économiques et environnementaux. C’est un personnage brillant et attachant, qui parle toujours couramment le français malgré ses années d’absence.
Son travail actuel consiste à réfléchir à l’avenir de la planète. Je suppose qu’il prend aussi du temps pour réfléchir à son propre avenir.