Tom Mulcair sur le nouveau livre de Bill Morneau
Dans le célèbre bon mot d’Eugène Sue « La vengeance est un plat qui se mange froid ». Selon cette mesure, le plateau de raisins aigres que Bill Morneau a présenté au cours du week-end a dû sortir d’un gel très profond.
Dans son nouveau livre et dans des entrevues, Morneau a fourni un fourrage sans fin aux conservateurs alors qu’ils se préparent pour les prochaines élections, qui auront probablement lieu plus tard cette année.
Tous leurs thèmes sont là. Morneau s’arrête juste avant de l’appeler Justin-flation, mais laisse entendre que ses avertissements sur les dangers d’une augmentation du coût de la vie sont restés lettre morte.
Vous pensez que Trudeau a trop dépensé? Ne croyez pas Pierre Poilievre sur parole, demandez simplement à Bill. Il fait la moue que le nombre le plus élevé qu’il aurait autorisé pour un programme pandémique clé n’a pas été suivi par Trudeau et que Trudeau essayait (attendez-le) de plaire au public. Quel choc!
Ce type de pleurnicherie souligne simplement l’évidence : Morneau n’était pas clair sur le concept de ce truc « politique ».
Lors de la période des questions de CTV, Vassy Kapelos a tenté de lui demander à deux reprises si Trudeau était un administrateur financier compétent. Son refus de répondre en dit long.
Le moment n’est bien sûr qu’une simple coïncidence, mais il est difficile de ne pas voir un parallèle entre les mémoires du prince Harry ciblant sa propre famille et les talons aiguilles égoïstes de Morneau destinés à Trudeau. Deux hommes très riches, très privilégiés, très autorisés partageant leurs réflexions profondes sur à quel point les choses ont été injustes pour eux et réglant leurs comptes.
Ils ne sont pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche, la leur était en or 24 carats ! Mais bon, nous semblons vivre dans une culture de victimisation, alors pourquoi ne pas tenter le coup.
Harry est payé 20 millions de dollars à titre d’avance par son éditeur, et des millions de personnes dans le monde se rangeront de son côté. Morneau ne gagnera pas plus que de l’argent pour ses ruminations et à part l’ancien gopher occasionnel, il est difficile de voir qui va se rallier à lui.
On peut prédire avec certitude que l’ensemble de la banquette avant conservatrice et son personnel de recherche citeront Morneau sans arrêt pendant la période des questions. Au-delà de cela, il n’y aura pas trop de Canadiens ordinaires intéressés à acheter ce butoir de porte.
« MORNEAU EST UN COOKIE INTELLIGENT »
Ne vous méprenez pas. Morneau est un cookie intelligent. Très réussi dans la gestion de l’entreprise de son père.
Lorsque Morneau a sauté (ou a été largué) du train politique, il n’avait pas vraiment accompli de merveilles. Ayant été élu pour la première fois en 2015 sur la promesse de n’avoir qu’un déficit minime, il avait dépensé près de 100 milliards de dollars canadiens. Lorsque la pandémie a frappé, les dépenses record se sont ajoutées à cela. Ce n’est la faute de personne mais la sienne.
En 2021, le commissaire à l’éthique a statué que : Morneau avait contrevenu au paragraphe 6(1), à l’article 7 et à l’article 21 de la Loi sur les conflits d’intérêts, alors qu’il était ministre des Finances. Un problème sérieux dans un monde financier où la conformité est considérée comme primordiale.
Avant cela, il avait fait une fausse déclaration concernant une villa que lui et sa famille possédaient dans le sud de la France. Une « erreur » difficile à comprendre de la part de quelqu’un qui a créé des entités patrimoniales toute sa vie.
Alors, qu’y a-t-il à propos de Morneau qui l’amène à croire qu’il est en position de faire la leçon à Trudeau sur quoi que ce soit ?
Son timing est curieux étant donné qu’il est hors de la politique depuis 2020. Pourquoi maintenant ? Encore une fois, la réponse semble être que c’est maintenant que ses récriminations auront le plus d’effet… contre Trudeau. Difficile de croire qu’il lui a fallu depuis 2020 pour pondre cet œuf.
Quelle est exactement la plainte concernant les généreux programmes de lutte contre la pandémie ? S’il y a une chose pour laquelle Trudeau méritera toujours le mérite, c’est d’en faire sa priorité absolue pour aider les millions de Canadiens qui ont perdu leur emploi du jour au lendemain.
La première version élaborée par les gnomes de la finance était une série de restrictions et d’obstacles qui en auraient exclu beaucoup. Trudeau l’a vu et a agi rapidement. Trudeau les a annulés. Il semble qu’il y ait eu une décision claire de ne pas laisser la main tordue habituelle des bureaucrates inquiéter la disparition de cette aide si nécessaire. L’argent circulerait même si certains des filets de sécurité habituels n’étaient pas là. Toute fraude pourrait être détectée plus loin sur la route.
‘TRUDEAU A FAIT LE BON APPEL’
La famille canadienne moyenne n’a pas plus de deux semaines de salaire à la banque. Trudeau a fait le bon choix. Mettez l’argent entre les mains des familles canadiennes pour qu’elles puissent mettre de la nourriture sur la table.
Il y avait une autre série d’exigences qui auraient pu et auraient dû être mises en place en ce qui concerne les programmes visant à aider les entreprises. Comme l’a souligné le professeur Peter Dietsch de l’Université de Victoria dans un brillant article pour la Société royale du Canada, le gouvernement canadien devrait examiner les indicateurs de performance de la responsabilité sociale des entreprises avant de remettre le chèque. L’entreprise respecte-t-elle les normes environnementales ? Utilisent-ils des abris fiscaux?… Au début, les libéraux semblaient intéressés par un tel filtre puis, pouf!, il a disparu sans laisser de trace. Les gnomes de la finance semblent avoir gagné celui-là.
Trudeau jouit d’une réputation enviable sur la scène mondiale où il est maintenant l’un des chefs de gouvernement les plus expérimentés. La droite a désespérément essayé de le démolir sur ce front, mais avec très peu de succès jusqu’à présent.
C’est la partie du travail qu’il connaît le mieux et qu’il aime le plus. Au sommet des « Trois Amigos », il est comme un poisson dans l’eau.
Le plus grand défi de Trudeau est la partie du travail qu’il aime le moins : diriger le gouvernement. Quel ennui. Vous ne pouvez pas diriger le service de l’immigration ? Donnez un contrat à McKinsey. Ils le feront.
Quand les Canadiens voient tout s’effondrer à Ottawa, le chaos absolu et le manque de responsabilité des compagnies aériennes, l’incapacité de délivrer un passeport, ils n’ont pas besoin d’une ligne préparée de Trudeau, ils veulent un résultat.
Trudeau est le premier ministre, le premier et le plus important de tous les ministres de notre gouvernement. Il dirige le spectacle. C’est lui le patron et il est responsable.
Lorsque les Canadiens voient des centaines de millions de dollars en contrats accordés à des entreprises extérieures pour faire le travail de ministères, ils savent que quelque chose ne va pas. Les ministres ne font pas leur travail. Les contribuables paient deux fois la note et n’obtiennent rien en retour. Les gens commencent à comprendre.
C’est ce qui devrait le plus inquiéter Trudeau. C’est un brillant communicateur, un fileur sans égal. Mais il y a une limite à croire qu’on peut tromper tout le monde de temps en temps et les libéraux commencent maintenant à se heurter à ce mur.
L’année 2023 est arrivée avec des nouvelles qui donnent à réfléchir à Trudeau concernant ses résultats dans les sondages et la vulnérabilité de son gouvernement lors des prochaines élections. Il ferait mieux de commencer à faire ses devoirs sur le sujet qu’il aime le moins : diriger le gouvernement. Sinon, il pourrait se réveiller après les élections sans gouvernement à présenter.
Tom Mulcair a été le chef du Nouveau Parti démocratique du Canada fédéral entre 2012 et 2017