Qu’est-ce qui est canadien? Le régulateur définira ce qui est considéré comme un film canadien
OTTAWA — Essayez de deviner lequel de ces films est canadien : lequel raconte l’histoire d’une adolescente sino-canadienne à Toronto et met en vedette Sandra Oh, née à Ottawa, ou le réalisateur montréalais Denis Villeneuve et une équipe de collaborateurs canadiens.
En vertu des lois canadiennes sur la radiodiffusion, ni l’un ni l’autre n’est considéré comme un film local.
Les décideurs et les experts des industries créatives du Canada sont maintenant aux prises avec l’épineuse question de savoir précisément ce qui fait qu’un film ou une émission de télévision est canadien.
La définition est au cœur d’une nouvelle législation devant le Parlement qui obligerait les services de diffusion en continu tels que Netflix, Amazon Prime et Disney+ à présenter une certaine quantité de contenu canadien, semblable aux obligations imposées depuis longtemps aux diffuseurs traditionnels.
Le ministre du Patrimoine, Pablo Rodriguez, dit qu’il prévoit demander au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes de préciser ce qui compte comme contenu canadien après l’adoption du projet de loi C-11 au Parlement. La législation augmenterait les investissements dans les industries créatives du Canada, dit-il, permettant aux Canadiens de raconter plus largement leurs propres histoires.
Les parties intéressées auront la possibilité de partager leurs points de vue lors de procédures publiques après que Rodriguez aura publié son orientation politique, a déclaré le régulateur de la radiodiffusion.
Si le projet de loi C-11 est adopté, il « créerait un terrain de jeu plus équitable pour les créateurs et les entreprises canadiennes, tout en garantissant que les auditoires bénéficieront d’une visibilité accrue du contenu canadien », a déclaré Christa Dickenson, directrice générale et chef de la direction de Téléfilm Canada.
Mais certains experts préviennent que la définition actuelle du contenu canadien doit être élargie et modernisée pour refléter la façon dont les émissions de télévision et les films sont réalisés aujourd’hui.
Sinon, préviennent-ils, cela pourrait dissuader les studios d’investir dans les talents canadiens si leur travail n’est pas officiellement qualifié de canadien.
Cela pourrait entraîner moins d’investissements dans les coproductions ou les films à gros budget dirigés par des Canadiens, et plus de temps consacré à de petites productions canadiennes moins chères qui cochent les bonnes cases du régulateur, prévient Michael Geist, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en droit d’Internet et du commerce électronique à l’Université d’Ottawa.
Il soutient qu’il devrait y avoir plus de souplesse dans la définition de ce qui fait qu’un film est canadien.
« C’est l’un des systèmes les plus restrictifs et les plus étroitement définis au monde, excluant même les auteurs canadiens », a-t-il dit, pointant vers « The Handmaid’s Tale », une adaptation télévisée à succès du roman de l’auteure canadienne Margaret Atwood, qui ne comptait pas comme une production canadienne.
« La politique gouvernementale réussit déjà à attirer des productions au Canada », a ajouté Geist. « C’est là que nous devrions commencer – d’un point de vue économique. »
Les principales sociétés de diffusion en continu investissent déjà d’énormes sommes dans le travail créatif des Canadiens, a-t-il dit, et leurs algorithmes encouragent les Canadiens et les gens du monde entier à le regarder. Les films ou émissions de télévision canadiens qui ne cochent peut-être pas toutes les cases officielles peuvent toujours apparaître dans une recherche Netflix.
Mais l’Association canadienne des producteurs de médias a déclaré que le projet de loi empêcherait « le passage à une industrie de succursales qui dépend d’entreprises dont le siège social se trouve à l’extérieur de nos frontières ».
« Il est important que les producteurs canadiens détiennent les droits sur leurs histoires », a déclaré l’association dans un communiqué écrit.
« Lorsqu’ils possèdent leur propriété intellectuelle, ils possèdent leurs histoires et peuvent réinvestir ces revenus dans notre industrie. »
La définition actuelle du contenu canadien, bien que populaire auprès de nombreux acteurs de l’industrie cinématographique canadienne, a donné lieu à de curieuses anomalies.
Certains des films les plus médiatisés mettant en vedette et réalisés par des Canadiens ces dernières années ne sont pas officiellement considérés comme canadiens.
« Deadpool » de Marvel, mettant en vedette le vedette canadien Ryan Reynolds, est basé sur un personnage de bande dessinée canadien et a été tourné à Vancouver. Le Canadien Paul Wernick a co-écrit le scénario. Pourtant, Deadpool n’était pas considéré comme canadien selon les règles du Bureau canadien de certification audiovisuelle.
Ces règles exigent un producteur canadien et un réalisateur ou scénariste canadien. Des points sont attribués pour le nombre de Canadiens occupant des rôles de premier plan ou d’autres postes créatifs clés. Les Canadiens doivent également figurer en bonne place dans la production et la postproduction.
Cela amène certains dans l’industrie cinématographique et au sein du gouvernement à se demander si le système de points pourrait faire l’objet d’une mise à jour. Ils se demandent si des points devraient être accordés aux rôles de production canadiens qui reflètent étroitement la façon dont les films sont faits aujourd’hui, pas il y a trois décennies, comme la reconnaissance des emplois clés de l’audiovisuel et des animateurs.
Le Canada n’est pas le seul pays à s’être attaqué à cette question.
Au Royaume-Uni, la définition de ce qui constitue un film britannique est plus large, incorporant des films réalisés par une société de production étrangère sur un sujet britannique reconnaissable, comme la vie de Shakespeare ou la bataille d’Angleterre de 1940.
De nombreuses productions hollywoodiennes – grâce à de généreux allégements fiscaux, à la disponibilité de talents canadiens, notamment d’acteurs, de figurants, d’expertise technique et d’installations de postproduction, sans oublier divers lieux – sont réalisées au Canada.
Reynolds Mastin, président et chef de la direction de l’Association canadienne des producteurs de médias, affirme que la modernisation de la loi sur la radiodiffusion « peut garantir que les Canadiens contrôlent notre culture et nos histoires, et peut soutenir la production d’émissions qui reflètent les gens et les lieux du Canada ».
« La législation mise à jour soutiendra la croissance d’un secteur de production canadien fort et autosuffisant et exigera que les services de diffusion en continu étrangers qui rapportent des milliards aux abonnés canadiens investissent dans des productions canadiennes », a-t-il déclaré.
Peter Grant, ancien membre du Comité d’examen de la législation sur la radiodiffusion et les télécommunications, a déclaré qu’il était crucial de veiller à ce que les sociétés de production canadiennes restent au cœur de la définition.
Il dit que la définition actuelle soutient les créateurs canadiens tout en leur donnant la possibilité de se tourner vers des thèmes qui ne sont manifestement pas canadiens.
Donner la priorité aux talents canadiens ne les empêchera pas de réussir à Hollywood, a-t-il ajouté.
« Les règles sur le contenu canadien que le CRTC utilise actuellement sont toutes basées sur la prémisse que la société de production doit appartenir à un Canadien, ou sur le montant d’argent dépensé pour les talents canadiens », a-t-il déclaré.
« Dans la définition du contenu canadien, les droits de propriété doivent être détenus par un Canadien. Mais il n’est pas nécessaire qu’il ait l’air canadien ou qu’il porte sur une histoire canadienne. »
Ce rapport de La Presse canadienne a été publié pour la première fois le 10 avril 2022.