Tom Mulcair : Trudeau parle dur sur le changement climatique ; les résultats sont insuffisants
Les premiers ministres de l’Atlantique ont commencé à s’opposer à l’augmentation prévue de la taxe fédérale sur le carbone qui touchera particulièrement leur région. Comme l’a souligné le directeur parlementaire du budget (DPB), cette taxe coûtera cher aux familles canadiennes.
Trudeau, ainsi que ses ministres de l’Environnement et des Ressources naturelles, ont affirmé que les remises aux familles compenseraient la taxe. Le directeur parlementaire du budget a prouvé le contraire.
Il existe différents outils de politique publique pour tenter de lutter contre la pollution par le carbone.
L’approche peut être réglementaire, avec des limites légales et des amendes pour les entreprises non conformes, par exemple. Mais cela nécessite une application, un domaine où le Canada a constamment échoué.
Il peut également prendre la forme d’un système de plafonnement et d’échange qui garantira effectivement un résultat. Vous imposez un plafond aux émissions globales et abaissez progressivement le plafond. Cela oblige les pollueurs à réduire leurs émissions ou à être contraints d’acheter des crédits auprès d’autres opérations plus performantes.
Quant à une taxe sur le carbone, oui, elle pourrait éventuellement réduire notre production de gaz à effet de serre (GES) en décourageant la consommation de combustibles fossiles à mesure qu’ils deviennent plus chers. Mais ce qu’on constate en fait, c’est que des familles canadiennes qui vivent souvent dans de grandes régions rurales, sans transport en commun, utilisent simplement une part de plus en plus importante de leurs budgets serrés pour pouvoir encore se déplacer.
C’est là que le plaidoyer des premiers ministres de l’Atlantique doit être entendu. C’est trop facile de les rejeter comme des rubis qui ne comprennent pas. Ils font.
La Nouvelle-Écosse est un bon exemple d’une province qui s’est battue, avec un certain succès, pour réduire les GES. Le premier ministre Tim Houston demande que les familles bénéficient d’un répit. Au lieu d’accorder des subventions aux pétrolières et de faire payer la facture aux Canadiens, Trudeau devrait obliger les producteurs à internaliser eux-mêmes le coût de leur pollution. Il finira par être supporté par tous les consommateurs, mais il met la responsabilité au bon endroit dès le départ.
Nous avons des précédents réussis d’obtention de résultats dans des dossiers de pollution complexes. Ce qui semble faire défaut aujourd’hui, c’est la volonté politique de recommencer.
Trudeau parle d’un bon jeu, mais comme l’ont rapporté les deux commissaires fédéraux à l’environnement et au développement durable qui ont servi sous sa direction, le gouvernement Trudeau a toujours échoué à atteindre les résultats promis par le Canada. Il dit maintenant aux premiers ministres qu’il veut que les familles canadiennes en paient le prix d’abord et avant tout, et non les sociétés pétrolières et gazières.
Le plan de Trudeau s’inspire largement d’une stratégie prometteuse proposée par deux anciens politiciens républicains (James Baker et George Schultz) et soutenue par l’actuelle secrétaire au Trésor, Janet Yellen. Il a constitué l’épine dorsale du plan climatique audacieux de Joe Biden. Ses principales caractéristiques étaient une taxe sur le carbone très élevée avec des remises aux familles et des compensations à la frontière pour s’assurer que la pollution était payée par la bonne source.
Tragiquement, depuis que Biden a pris ses fonctions et avant qu’il ne puisse être mis en place, il y a eu une augmentation massive de la quantité de charbon brûlé aux États-Unis. L’approche actuelle des États-Unis se reflète dans les centaines de milliards investis dans les technologies propres et les énergies renouvelables. Leur transition massive est en marche. Ils ont abandonné le plan Baker-Schultz, mais nous en appliquons toujours notre version incomplète aux dépens, littéralement, de la famille ouvrière moyenne au Canada. Hormis l’augmentation des recettes fiscales, il y a eu jusqu’à présent peu de résultats mesurables.
Lorsque les pluies acides détruisaient les forêts du sud-est du Canada et du nord-est des États-Unis, il a fallu le travail visionnaire de Brian Mulroney et George HW Bush pour trouver une solution. L’un des principaux polluants qu’ils devaient réduire était le SO2 qui, combiné à l’eau, produisait de l’acide sulfurique. Il pleuvait littéralement de l’acide sur nos forêts. Mulroney a écrit un article éloquent résumant leur approche.
Le président américain George Bush lève le pouce lors d’une rencontre avec le premier ministre Brian Mulroney à Ottawa sur cette photo d’archive de 1990. La Presse canadienne/Fred Chartrand
Deux politiciens chevronnés, un progressiste-conservateur et un républicain, se sont concentrés sur l’obtention d’un résultat. Le système qu’ils ont mis en place obligeait des entreprises comme Inco, comme on l’appelait alors, à réduire leurs émissions; quelque chose qu’ils avaient fermement refusé de faire, menaçant de fermer s’ils étaient forcés. Alors qu’il allait coûter plus cher d’acheter des crédits dans le cadre du système de plafonnement et d’échange, ils ont finalement cédé et mis en place les épurateurs qui feraient le travail.
C’était l’application concrète d’un des principes clés du développement durable : le pollueur payeur. Si Trudeau avait été là, on a l’impression qu’il aurait donné une subvention à Inco, comme il continue de le faire avec les pétrolières. Au lieu de « pollueur-payeur », avec Trudeau, c’est « payez le pollueur ».
Dans un encadré intéressant, Inco disposait désormais d’énormes stocks de soufre qui, il s’est avéré, pourraient devenir une nouvelle source de revenus. Comme l’avait émis l’hypothèse du professeur de Harvard Michael Porter, la réglementation environnementale crée des opportunités pour une plus grande innovation.
Lorsque le président Ronald Reagan a appris l’existence du trou dans la couche d’ozone, il n’a pas agi pour la galerie, comme Trudeau aime le faire… il est passé à l’action. En un temps record, le Protocole de Montréal a été signé alors que les pays du monde se réunissaient pour faire face à une menace existentielle. Les substances qui appauvrissent la couche d’ozone ont été interdites. Ils se sont concentrés sur l’obtention du résultat et ont réussi.
Malheureusement fidèle à lui-même, au lieu d’obtenir des résultats, Trudeau a transformé le climat en arme contre les conservateurs de Pierre Poilievre qu’il attaque allègrement pour leur manque de plan cohérent.
Il est, bien sûr, honteux et même insensé pour un parti qui espère former le gouvernement d’un pays du G7 de ne pas avoir de plan crédible pour faire face aux changements climatiques.
Le problème pour Trudeau est qu’il vit dans une maison de verre monumentale lorsqu’il jette des pierres sur quelqu’un d’autre au sujet du changement climatique.
J’ai eu la chance d’assister à la conférence qui a mené à l’Accord de Paris. Trudeau venait d’être élu et dans un discours émouvant, il ouvrit grand les bras et proclama : « Nous sommes de retour ». Il y avait beaucoup d’espoir dans la salle.
Photo d’archive du chef libéral de l’époque, Justin Trudeau, posant sa main sur son cœur alors qu’il arrive au siège des élections libérales à Montréal, au Québec. le lundi 20 octobre 2015. LA PRESSE CANADIENNE/Sean Kilpatrick
Le problème, c’est qu’à son retour au Canada, il a dit (beaucoup plus discrètement) qu’il utiliserait le plan, le calendrier et les objectifs de Stephen Harper (et il n’a même pas été capable de le faire !).
Cet espoir s’est depuis longtemps évanoui. Les réponses de plus en plus irritables de l’un des meilleurs ministres du cabinet Trudeau, Jonathan Wilkinson, montrent que ses gens les plus intelligents savent qu’on leur demande de vendre un porc dans un sac. Wilkinson n’est pas seulement un bon ministre des Ressources naturelles, c’est un ancien ministre de l’Environnement et il sait compter. Il sait que les chiffres ne correspondent pas.
Alors que les pires incendies de forêt de mémoire continuent de brûler à travers le Canada, notre bilan de production de GES est de plus en plus déficitaire. Depuis l’Accord de Paris, nous devons inclure le C02 des incendies de forêt dans nos déclarations au GIEC de l’ONU. Les incendies de cette année ne seront pas enregistrés par le Canada avant deux ans (nous sommes très lents à les signaler), mais il est déjà clair que, quels que soient les efforts dérisoires déployés par Trudeau, ils pâliront par rapport à ce qui vient d’être déclenché par ces incendies de forêt.
Au lieu d’obtenir des résultats, les Canadiens ont droit à un combat à l’épée des Pirates de Penzance entre un Trudeau en posture et un Poilievre déconnecté. Tous deux ont des enfants. Tous deux savent bien qu’une action urgente est nécessaire si l’on veut leur épargner les pires effets du changement climatique. L’un fait semblant, l’autre prétend qu’il peut l’ignorer.
Ironiquement, l’un des thèmes les plus réussis pour Poilievre est l’équité intergénérationnelle. Il a beaucoup de jeunes qui sont d’accord avec lui pour dire qu’il est injuste qu’ils soient la première génération de Canadiens à avoir moins que leurs parents, qu’ils ne pourront jamais s’offrir une maison. Sans le vouloir, il utilise l’un des postulats clés du développement durable : le respect des droits des générations futures. Dommage qu’il ne sache pas l’appliquer.
Il y a soixante ans, dans son livre historique « Silent Spring », la biologiste américaine Rachel Carson a identifié et expliqué l’empoisonnement persistant et continu de tout l’environnement humain par les pesticides.
Les obstacles auxquels elle a été confrontée étaient similaires à ceux rencontrés par les scientifiques d’aujourd’hui qui ont tenté, avec un succès limité, de tirer la sonnette d’alarme sur le changement climatique et ses effets potentiellement dévastateurs sur la planète et ses écosystèmes.
À l’époque, ce sont les fabricants de produits chimiques qui menaient la résistance, avec de la désinformation et des attaques personnelles profondément blessantes contre Carson. Malgré leurs efforts, son travail a résisté à l’épreuve du temps.
Aujourd’hui, nous savons que les grandes compagnies pétrolières et gazières ont intentionnellement caché des informations sur le changement climatique alors même qu’elles augmentaient leur production et mentaient. Des poursuites majeures ont été engagées contre eux par des juridictions comme New York et la Californie.
Comme les autres menteurs en série, les grandes compagnies de tabac, la seule façon de les mettre au pas sera de leur ordonner de payer des centaines de milliards de dollars pour les dommages causés par leur négligence.
Petite consolation, bien sûr, si nous ne commençons pas à obtenir des résultats maintenant.
L’enjeu n’est rien de moins que notre capacité à survivre sur la Terre verte de Dieu.
Il y a quelques années, j’ai assisté à une conférence donnée par Matthew Fox, un prêtre et théologien américain. Fox parlait du sujet de l’environnement et, en particulier, de l’importance de respecter la création de Dieu.
J’ai des amis d’horizons politiques très différents. L’une des choses que j’ai remarquées au fil des ans, c’est que bon nombre, sinon la plupart, des conservateurs que je connais ont des convictions religieuses profondément ancrées.
Peut-être que ces conservateurs devraient essayer de travailler sur Polièvre. Si vous croyez en un Dieu qui est le créateur du ciel et de la terre, ne voudriez-vous pas aussi faire tout votre possible pour préserver et protéger cette création ?
En quelques décennies, l’activité humaine a commencé à menacer cette création même. Comme l’a si bien dit Rachel Carson, nous manquons de temps. « Il a fallu des centaines de millions d’années pour produire la vie qui habite aujourd’hui la terre — le temps est l’ingrédient essentiel ; mais dans le monde moderne, il n’y a pas de temps.
Tom Mulcair a été le chef du Nouveau Parti démocratique du Canada fédéral entre 2012 et 2017