Le système d’extradition du Canada doit être réformé en profondeur, selon des experts en droit et en droits de l’homme.
OTTAWA — Selon des experts en droit et en droits de la personne, les lois canadiennes sur l’extradition doivent être révisées en profondeur afin de garantir l’équité, la transparence et l’équilibre entre le désir d’efficacité administrative et les protections constitutionnelles essentielles.
Dans un rapport publié jeudi, les voix qui appellent à la réforme affirment que le processus canadien d’envoi de personnes vers des poursuites et des incarcérations à l’étranger est criblé de lacunes qui rendent le système intrinsèquement injuste.
Les recommandations de changement émanent du Colloque d’Halifax sur la réforme du droit de l’extradition qui s’est tenu à l’Université Dalhousie en septembre 2018 et qui a rassemblé des universitaires, des avocats de la défense et des organisations de défense des droits de l’homme.
Le rapport reconnaît l’importance de l’extradition dans un monde de plus en plus globalisé où les activités criminelles traversent souvent les frontières, mais souligne « un certain nombre de problèmes » dans la façon dont les procédures se déroulent dans le cadre de la loi sur l’extradition de 1999.
« Le Canada donne suite à la plupart des demandes d’extradition émanant d’autres pays, et les personnes recherchées en vue d’une extradition ne parviennent presque jamais à la contester », indique le rapport.
« Mais est-ce là ce qui devrait être ? »
Les partisans de la réforme soulignent le cas du professeur de sociologie d’Ottawa Hassan Diab, un citoyen canadien qui a été extradé vers la France et emprisonné pendant plus de trois ans, pour être ensuite libéré sans même avoir été jugé.
« Il convient de rappeler que, lorsque la Loi sur l’extradition a été adoptée, le ministère de la Justice a assuré au Parlement que les Canadiens ne moisiraient pas dans des États étrangers en attendant leur procès et que les procédures d’extradition ne seraient pas utilisées pour faciliter les enquêtes à l’étranger « , indique le rapport.
« Le cas de Hassan Diab montre qu’aucune de ces promesses n’est prise au sérieux ».
Dans le cadre de la procédure d’extradition canadienne, les fonctionnaires du ministère de la Justice déterminent d’abord s’il convient d’autoriser le lancement de la procédure devant les tribunaux par le biais de ce que l’on appelle une « autorisation de poursuivre ».
Une fois que l’autorisation de poursuivre a été délivrée, les tribunaux canadiens doivent décider s’il existe des preuves suffisantes, ou d’autres motifs applicables, pour justifier l’incarcération de la personne en vue de son extradition. Lorsqu’une personne est incarcérée en vue de son extradition, le ministre de la Justice doit personnellement décider s’il y a lieu d’ordonner la remise de l’individu à l’État étranger.
Une personne recherchée en vue d’une extradition peut faire appel de son incarcération et demander un contrôle judiciaire de l’ordre d’extradition du ministre – un processus qui peut durer des mois, voire des années, devant les tribunaux.
Le rapport publié jeudi indique que le processus d’incarcération compromet la capacité de la personne recherchée à contester utilement le dossier étranger contre elle, réduisant les juges canadiens à des tampons et permettant l’utilisation de documents non fiables.
L’avocat de Diab, Donald Bayne, a déclaré que le processus d’extradition du Canada est « essentiellement un système injuste » indigne d’un Canada moderne et constitutionnel.
« L’extradition implique la privation de liberté de Canadiens, et d’autres personnes, sans aucune preuve sous serment », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse jeudi pour lancer le rapport.
La décision d’extradition prise par le ministre de la Justice est un processus hautement discrétionnaire et explicitement politique, qui penche injustement en faveur de l’extradition, selon le rapport.
Le Groupe d’assistance internationale du ministère de la Justice facilite l’extradition de personnes pour qu’elles soient poursuivies ou condamnées dans le pays où elles sont accusées ou condamnées.
Cependant, le groupe est « excessivement accusatoire » dans la façon dont il mène les procédures, agissant sans aucune séparation entre les plaideurs et les décideurs, indique le rapport.
Tout cela se déroule sous un « voile de secret inutile », ajoute le rapport. Le groupe à l’origine du rapport préconise des changements, notamment :
— Une présomption d’innocence dans le processus d’incarcération, ainsi qu’un recours accru aux témoignages à la première personne et aux contre-interrogatoires pour permettre à la personne recherchée de contester la fiabilité de l’accusation portée contre elle ;
— La divulgation en temps opportun des preuves disculpatoires détenues par l’État requérant ou le gouvernement canadien ;
— Une norme de révision plus exigeante pour les décisions de remise du ministre, et des changements à la loi pour confier certaines questions juridiques aux tribunaux ;
— Permettre la remise uniquement si l’État requérant est prêt à engager un procès ;
— Prise en compte explicite des obligations du Canada en vertu du droit international des droits de l’homme ;
— Une exigence selon laquelle, si des assurances diplomatiques sont utilisées pour faciliter la remise, elles doivent être significatives, transparentes, contrôlées et légalement exécutoires ;
— La reformulation du rôle du Groupe d’assistance internationale afin que les membres cherchent à obtenir un résultat juste et équitable plutôt qu’une « victoire » en cas de litige ;
— Une surveillance adéquate des activités du groupe d’assistance, y compris un examen public ;
— Empêcher l’extradition, dans les cas où des citoyens canadiens sont recherchés, en faveur d’une poursuite canadienne, si possible, à moins que le gouvernement ne puisse prouver qu’il est réellement dans l’intérêt de la justice d’extrader.
Rob Currie, professeur de droit à l’Université Dalhousie, a déclaré que le rapport avait été envoyé au Premier ministre Justin Trudeau et au ministre de la Justice David Lametti, entre autres.
« Mais ce qui est le plus urgent, c’est que le Parlement examine sérieusement ce à quoi l’extradition ressemble réellement au Canada et ce à quoi elle devrait ressembler à l’avenir », a déclaré M. Currie. « Les Canadiens devraient avoir leur mot à dire à ce sujet, et il est plus que temps de réformer la loi. »
Le bureau de Lametti n’a pas fait de commentaire immédiat sur le rapport.
Ce rapport de La Presse Canadienne a été publié pour la première fois le 21 octobre 2021.