Les médias québécois dénoncent un procès criminel tenu en secret
Les responsables des principales salles de presse du Québec ont écrit une lettre ouverte mercredi pour dénoncer un procès criminel impliquant un informateur de la police qui s’est déroulé entièrement en secret et n’a pas été inscrit au rôle officiel du tribunal.
L’existence de ce procès n’a été rendue publique que parce que l’informateur de police accusé dans cette affaire a fait appel de sa condamnation, et que la cour d’appel a publié fin février un jugement fortement expurgé critiquant les procédures de première instance.
Une lettre signée par les chefs des salles de rédaction des principaux médias de la province, dont La Presse Canadienne, fait état de leur indignation et de leur profonde inquiétude face au « procès fantôme » révélé par un jugement rendu par la Cour d’appel du Québec, qui a d’abord été publié par La Presse.
« Il est inacceptable qu’un tel procès puisse avoir lieu au Québec sans que le public ne soit même informé de son existence, sans parler du tribunal dans lequel il s’est déroulé et de l’identité du juge et des avocats impliqués », peut-on lire dans la lettre adressée aux juges en chef de la Cour du Québec, de la Cour supérieure et de la Cour d’appel.
« En bref, le procès s’est déroulé dans le plus grand secret, le décideur de la juridiction inférieure effaçant d’un coup de crayon des siècles d’avancées démocratiques et nous renvoyant à la triste époque de la Chambre étoilée — ce tribunal arbitraire créé par Henri VII au XVe siècle. »
L’affaire concerne un informateur de police qui a été condamné pour avoir participé à un crime qu’il avait initialement révélé à la police. L’informateur a affirmé avoir été victime d’un abus de procédure, mais le juge de la juridiction inférieure n’était pas d’accord.
Le panel de la Cour d’appel, cependant, s’est rangé du côté de l’informateur et a suspendu la condamnation et les procédures judiciaires. Dans une décision datée du 28 février, un panel de trois membres de la Cour d’appel a écrit que le procès initial était « contraire aux principes fondamentaux qui régissent notre système judiciaire. »
Son jugement a noté que l’affaire n’avait pas de numéro de dossier, que les témoins ont été interrogés en dehors de la salle d’audience et que « aucune trace de ce procès n’existe, si ce n’est dans l’esprit des personnes impliquées ». La date du procès a été tenue secrète, tout comme le lieu du crime présumé et les forces de police impliquées.
« On ne saurait trop insister sur l’importance du principe de la publicité des débats dans ce pays », ont écrit les juges de la Cour d’appel Marie-France Bich, Martin Vauclair et Patrick Healy dans l’introduction de leur décision.
« La cour est d’avis que si les procès doivent protéger certaines informations qui y sont divulguées, une procédure aussi secrète que la présente est absolument contraire au droit pénal moderne et au respect des droits constitutionnels non seulement de l’accusé, mais aussi des médias, et elle est également incompatible avec les valeurs d’une démocratie libérale », ont-ils ajouté.
La lettre des médias indique que les demandes exceptionnelles des procureurs et des avocats de la défense sont accordées plus fréquemment, une pratique qui, selon eux, érode le principe de la transparence judiciaire. Les rédactions québécoises ont demandé un examen approfondi des pratiques judiciaires afin de s’assurer qu’un tel procès ne se reproduise pas.
« Ce qui est en jeu, c’est la confiance du public dans le système judiciaire », indique la lettre. « Et celle-ci a été fortement ébranlée par la manière dont ce procès s’est déroulé ».
Interrogé sur l’affaire mercredi à l’Assemblée législative, le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a déclaré qu’il serait en mesure de discuter plus avant de la question une fois qu’il aurait confirmé certaines informations. Le principe de base dans une démocratie, a-t-il dit, est que la justice soit rendue au grand jour.
« La justice doit être rendue publiquement et il n’est pas acceptable qu’une telle situation se produise », a déclaré M. Jolin-Barrette pendant la période de questions.
Il a ajouté qu’il y a certaines « circonstances exceptionnelles » où, afin d’assurer la sécurité d’un individu, des procédures spécifiques pourraient s’appliquer comme des interdictions de publication, mais il a dit qu’autrement, le principe de base de la transparence s’applique.
– Ce rapport de La Presse Canadienne a été publié pour la première fois le 30 mars 2022.