Le Canada « derrière le ballon » avec les lois sur les fusions : rapport
Selon un nouveau rapport, les lois laxistes sur les fusions au Canada sous-estiment les dommages à la concurrence causés par les fusions et surestiment leurs avantages.
Selon le Center for International Governance Innovation, les lacunes des lois canadiennes sur les fusions n’ont pas réussi à empêcher le type d’acquisitions qui permettent aux grandes entreprises « d’éliminer les menaces concurrentielles et de consolider leur domination ».
Le Canada a pris du retard par rapport à d’autres juridictions comme les États-Unis, a déclaré Keldon Bester, membre du centre et auteur du rapport.
Il a comparé le régime actuel du Canada à un ensemble de freins défectueux. « Nos lois aujourd’hui sont comme des freins sur une voiture qui descend. Nous savons que nous descendons, mais nous aimerions y aller un peu plus lentement », a-t-il déclaré dans une interview.
La « permissivité » des lois sur les fusions est particulièrement préoccupante dans le contexte d’une économie numérique en pleine croissance, qui se heurte à des défis uniques, ajoute son rapport.
Les fusions, qui sont des transactions qui regroupent deux entreprises en une seule, peuvent faire l’objet d’un examen par l’organisme de surveillance de la concurrence du Canada afin de déterminer si elles seraient préjudiciables à la concurrence.
Cependant, depuis l’introduction de la Loi sur la concurrence en 1986, le Bureau de la concurrence n’a contesté que 18 fusions. Et ce qui est particulièrement alarmant, selon le rapport, c’est que le bureau n’a jamais remporté de contestation sur jugement final.
Un récent sondage suggère que les Canadiens sont préoccupés par la situation.
Selon un sondage Ipsos réalisé en janvier, 88 % des répondants ont convenu qu’il faut plus de concurrence commerciale « parce qu’il est trop facile pour les grandes entreprises de profiter des Canadiens ».
La même proportion a convenu qu’une plus grande concurrence entre les entreprises pourrait conduire à plus de choix et à des prix plus bas pour les consommateurs.
Le sondage auprès de 1 001 Canadiens âgés de 18 ans et plus a été mené entre le 14 et le 17 janvier. Ipsos affirme que ses résultats en ligne sont pondérés et comparables à un sondage traditionnel avec une marge d’erreur de plus ou moins 3,5 points de pourcentage, 19 fois sur 20. .
L’un des problèmes avec le Bureau de la concurrence est le seuil auquel il doit être avisé d’une transaction, indique le rapport du CIGI.
En vertu de la Loi sur la concurrence, les parties à un projet de fusion doivent aviser le Bureau de la concurrence si une transaction respecte certains seuils financiers. Mais ces seuils n’incluent pas la valeur de la transaction elle-même, indique le rapport.
Cela contraste avec les États-Unis, où la Federal Trade Commission est déjà informée des fusions qui dépassent une certaine valeur de transaction.
Au début de cette année, la commission et le ministère américain de la Justice ont annoncé une enquête publique conjointe pour moderniser les directives sur les fusions afin de « mieux détecter et prévenir les accords anticoncurrentiels ».
En comparaison, le Canada est « loin derrière », a déclaré Bester.
Un autre problème avec le Bureau de la concurrence est que « la barre pour intervenir dans une fusion est assez élevée », a ajouté Bester, un chercheur qui étudie la concurrence et les pouvoirs monopolistiques au Canada.
C’est parce que les lois actuelles tiennent compte de l’efficacité accrue qui peut résulter d’une fusion, a-t-il déclaré. Les préjudices résultant d’une concurrence réduite sont autorisés si la fusion proposée entraînera des économies de coûts jugées plus importantes.
Il y a aussi un préjugé contre le blocage pur et simple des fusions, a-t-il déclaré.
Au lieu de cela, les lois favorisent les accords négociés qui incluent des concessions ou des mesures correctives qui répondraient à certains des problèmes de concurrence. Selon le rapport, ces mesures correctives ne doivent pas nécessairement remédier à la réduction de la concurrence qui serait causée par la fusion.
Le rapport suggère plusieurs changements aux lois canadiennes sur les fusions.
Les recommandations comprennent l’élargissement de l’éventail des transactions dont le Bureau de la concurrence est avisé, l’allongement du délai dont il dispose pour bloquer une fusion préjudiciable et la modification des critères utilisés pour déterminer si une transaction doit être bloquée.
La fusion proposée la plus médiatisée au Canada à l’heure actuelle est sans doute la prise de contrôle proposée par Rogers de Shaw, une transaction potentielle évaluée à 26 milliards de dollars.
Bester a déclaré que si le Canada avait des lois plus strictes sur les fusions, l’accord Rogers-Shaw aurait automatiquement été « mort dans l’eau » étant donné le manque de concurrence dans l’industrie des télécommunications.
« Si nous avions des lois plus strictes sur les fusions, cette fusion ne serait pas proposée en premier lieu. »
Néanmoins, le chien de garde de la concurrence du Canada a tenté de bloquer l’accord, arguant qu’il réduirait considérablement la concurrence et entraînerait une augmentation des factures de téléphone.
Rogers et Shaw devraient comparaître devant le Tribunal de la concurrence en novembre, où ils plaideront en faveur de la transaction.
Bien que les libéraux fédéraux aient récemment apporté des modifications à d’autres parties de la Loi sur la concurrence, le Canada n’a pas touché aux lois sur les fusions – un problème que Bester attribue à un « appareil juridique et financier » qui profite de leur permissivité.
Les banques, les cabinets d’avocats et les groupes de capital-investissement « sont intéressés par des lois très souples sur les fusions, car cela augmente leur résultat net », a déclaré Bester.
« Nous n’avons vraiment rien fait aujourd’hui du côté des fusions, donc le Canada est vraiment derrière le ballon. »
Ce rapport de La Presse canadienne a été publié pour la première fois le 1er octobre 2022.